Sociétés en mouvement, sociologie en changement

L'AISLF, Canal SAVOIR et EBICO ont produit et réalisé une série de six émissions, à partir d'entretiens avec les chercher·e·s invité·e·s au Congrès et d'extraits de leurs conférences.

Comment les méthodes et les sujets mêmes de la sociologie s'adaptent-ils pour prendre en compte les formes du vivre ensemble à l'heure de la connectivité et de la traçabilité généralisées ? Au croisement de l'étude des mondes sociaux et des cultures technologiques, la recherche récente n'envisage pas le numérique comme un domaine d’activité à part, mais plutôt comme un champ de tensions où les processus et les notions propres des sciences sociales se reconfigurent. Communauté, travail, amitié, équilibre public/privé, action collective : les usages numériques influencent non seulement les transformations des pratiques communicationnelles et productives, mais également l’émergence de nouvelles définitions de soi, ainsi que des sociabilités inédites. Avec Antonio Casilli et Michel Grossetti.
Les indices abondent, notre relation aux défunts serait en train de changer. Ces dernières années, on a vu se multiplier quantité de romans, de séries, de films et de témoignages qui semblent vouloir cultiver une posture bien différente de la doxa officielle quant à la question du mode d’existence des défunts. Certains d’entre eux pourraient revenir, d’autres sont toujours là, quoique sur un autre mode, d’autres encore demandent à être nourris, soutenus, pensés, pour continuer à exister. On assiste à une remise en question radicale du statut de certains morts comme disparus, notamment lorsque ceux-ci font irruption dans la vie des vivants pour leur demander de l’aide, voire pour eux-mêmes leur en proposer. Ces morts pourraient bien mettre à sérieuse épreuve les méthodes de la sociologie et des sciences humaines. Ne s’agit-il pas, à présent, pour elles, d’apprendre à bien parler des morts et à bien parler avec ceux qui leur parlent ? Avec Vinciane Desprest et Terry Nichols Clark.
Du point de vue de Nathalie Heinich, la sociologie non empirique, de même qu’une sociologie normative, appartiennent à la préhistoire de cette discipline. Pour elle, la sociologie ne doit pas être la simple extension de l’action militante sous une autre forme. Considérer le savoir comme une fin en soi, refuser de l’inféoder à des objectifs autres qu’épistémiques. Enfin délivrés de la régression post-moderne, nous pourrons entrer ainsi, tous ensembles, dans l’histoire de la sociologie. Avec Nathalie Heinich et Marcel Fournier.
Peut-on penser les mouvements de nos sociétés sans intégrer les logiques de genre ? L’interrogation paraît simpliste, mais, selon Margaret Maruani, elle est indispensable, à défaut d’être évidente. Trop de pages ont été écrites qui, omettant le genre, sont passées à côté d’un certain nombre de mutations fondamentales de nos sociétés. Or, précisément, le genre jette un regard neuf sur la sociologie contemporaine, un regard critique – forcément critique.
Contrairement à l'opinion reçue, les émotions sont très présentes dans la sociologie classique, notamment celle de Durkheim et de Weber. Mais, malgré tout, elles n'ont pas orienté le développement de la pensée sociologique. Selon Eva Illouz la pensée sociologique aurait été différente si le rôle des émotions avait été plus mis en avant. Mais la sociologie des émotions doit-elle s'appuyer sur l'héritage de la sociologie classique ou bien s'agit-il d'une nouvelle sociologie ? La question se pose, mais quoi qu’il en soit, la sociologie d’aujourd’hui ne peut plus ignorer les émotions, car en constituant l’humanité, elles ont fondé la base de toute réalité sociale, quelle qu’elle soit depuis la nuit des temps. Avec Margaret Maruani et Eva Illouz.
La sociologie peut-elle continuer d’avancer en ignorant le développement des sciences biologiques et cognitives ? Pour Laurence Kaufmann, la réponse est simplement non. Effrayée pendant longtemps par l’idée de réaliser un arrimage avec les sciences du vivant, la sociologie du XXIe siècle doit sortir de la biophobie. À l’heure des cloisonnements disciplinaires et de l’hyperspécialisation que déclenche la division croissante du travail scientifique, une telle sociologie « intégrative » paraît particulièrement souhaitable. D’une part, elle permet de déployer une conception scientifiquement réaliste des mécanismes intuitifs de bas-niveau aussi bien que des capacités réflexives sophistiquées qui permettent aux êtres humains de « faire société ». D’autre part, une telle entreprise « intégrative », loin de rompre avec la visée émancipatrice du discours sociologique, la prolonge et l’étend à de nouveaux territoires. Elle rajoute le dévoilement des processus cognitifs et émotionnels que tout un chacun met en œuvre, bien souvent à son insu. Avec Laurence Kaufmann et Renato Ortiz.
L’élucidation de questions complexes peut requérir la contribution de plusieurs disciplines. Quelles sont les conditions suivant lesquelles la pratique de l’interdisciplinarité peut conduire à des gains significatifs de compréhension, au-delà de la simple juxtaposition de regards différents posés sur un même objet ? Quel rôle la sociologie peut-elle jouer dans cette pratique ? Quelles sont les conditions principales de la fécondité interdisciplinaire, ainsi que les embûches qui en rendent la réalisation difficile ? Sur ces bases, Gérard Duhaime dresse deux préalables à la contribution significative de la sociologie : la détermination collégiale des questions de recherche et le renforcement de la liberté académique, à l’encontre de la transformation de l’université et des organismes publics de financement de la recherche, inspirée par le modèle marchand. Avec Gérard Duhaime et Jules Duchastel.