Sessions plénières Programme général
Jeudi 7 juillet, 11h-12h30, université du Québec à Montréal
Sociologue et politologue, Denyse CÔTÉ a aussi été organisatrice communautaire professionnelle. Professeure titulaire au département de travail social de l’université du Québec en Outaouais, elle dirige depuis plus de dix ans l’ORÉGAND (Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes). Ses recherches portent sur les groupes de femmes et associations féministes québécois et haïtiens, sur le genre et le territoire, ainsi que sur la garde partagée.
Michel GROSSETTI est directeur de recherches au CNRS et directeur d’études à l’EHESS. Ses recherches portent sur les activités scientifiques et d’innovation technique, les réseaux sociaux, les parcours de vie et la théorie en sciences sociales. Il est entre autre l’auteur de Sociologie de l’imprévisible. Dynamiques de l’activité et des formes sociales (PUF, 2004) et La Vie en réseau. Dynamique des relations sociales (avec Claire Bidart et Alain Degenne, PUF, 2011). Il a également co-dirigé avec Marc Bessin et Claire Bidart Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement (La Découverte, 2010).
Les auteurs impliqués dans les débats organisés par SociologieS sur l’état de la sociologie et son avenir convergent sur le constat des difficultés rencontrées par la discipline (relative régression de son impact, morcellement) et sur la nécessité qu’elle aurait à s’ouvrir plus à d’autres spécialités de sciences sociales. La communication partira de ce constat pour défendre une conception dans laquelle la sociologie est une composante du vaste espace des sciences sociales. Cet espace présente une cohérence due à la spécificité de ses objets d’études, des humains qui font circuler des artefacts et des significations, peuvent comprendre et discuter ce qu’écrivent les chercheurs, et ne peuvent en aucune manière faire l’objet de lois prédictives similaires à celles de la physique. Au sein de cet espace, les sociologues produisent bien sûr des analyses empiriques, le plus souvent sur les mondes contemporains, mais ils sont aussi une source importante de propositions théoriques qui peuvent être discutées avec les chercheurs des autres disciplines. Parmi ces propositions peuvent figurer en particulier des notions pour décrire les mondes sociaux. La communication proposera à ce titre une catégorisation des formes sociales « élémentaires » : personnes, ressources, relations, réseaux, collectifs.
Après avoir passé de nombreuses années en France et aux États-Unis, Laurence KAUFMANN est actuellement professeure de sociologie de la communication et de la culture à l'Institut des sciences sociales de l’université de Lausanne et chercheuse associée à l’institut Marcel Mauss de l’EHESS. Ses recherches recourent à la sociologie et à l’histoire aussi bien qu’à la linguistique et à la psychologie pour tenter d'éclairer la nature des faits sociaux ainsi que pour mettre en évidence les capacités attentionnelles, inférentielles, mimétiques et communicationnelles qu’exigent, de la part des êtres sociaux, leur constitution et leur maintenance. Auteur de nombreux articles en français et anglais sur l’opinion publique, l’invention de la « société », la cognition sociale, la déférence et l’autorité de la première personne, elle a entre autres co-dirigé deux numéros de Raisons pratiques. Elle travaille actuellement sur deux ouvrages, l’un sur les ressorts du jugement public, l’autre sur les capacités de « faire société ».
« Comment la société est-elle possible ? », se demandait Georg Simmel. Reposer cette question, trop souvent oubliée par les sciences sociales, c’est se réinterroger sur les capacités cognitives et les processus sociaux qui permettent à la société de prendre forme.
Pour relancer une telle interrogation, il faut tout d’abord préciser ce que « société » veut dire. Pour les sciences cognitives comme pour les sciences naturelles telles que la biologie et l’éthologie, la « société » renvoie aux formes d’interaction sociales élémentaires, récurrentes et universelles, qui composent le tissu conjonctif de la vie sociale. Pour les sciences humaines et sociales, le concept de « société » renvoie aux associations humaines conventionnelles qui ont été stabilisées par le travail au long cours des traditions, des systèmes symboliques, des structures sociales et des instances de socialisation et d’enculturation qui font des êtres humains des êtres essentiellement cultivés. Enfin, pour la philosophie politique et l’histoire, le concept de « société » renvoie à une invention politique proprement moderne, celle qui a permis, au XVIIIe siècle, de faire du lien de la societas, contractuel, libre et temporaire, que l’individu privé est susceptible d’entretenir avec ses semblables le modèle normatif du lien social, rompant ainsi avec le lien théologico-politique qui subordonnait les sujets à une totalité fondamentalement hérétonome. L’ontologie feuilletée de la « société » que mettent en évidence ces trois types de définition, sociale, culturelle et politique, permet d’éclairer différentes compétences et conduites humaines. Alors que les compétences relationnelles et déontiques sont au cœur de l’ontologie sociale, les compétences à la distanciation, qu’elles revêtent la forme de la déférence ou celle de la distraction, sont au cœur de l’ontologie culturelle. Enfin, les compétences à l’imagination et aux raisonnements contrefactuels sont au cœur de l’enquête collective sur les orientations de la vie en commun qui caractérisent idéalement l’ontologie politique.
Plutôt que de dissocier ces ontologies et de laisser de côté les compétences qui leur sont corrélatives, la sociologie aurait tout intérêt à les intégrer dans une réflexion générale qui préserve ses nombreux acquis tout en les articulant avec les autres savoirs scientifiques. À l’heure des cloisonnements disciplinaires et de l’hyperspécialisation que déclenche la division croissante du travail scientifique, une telle sociologie « intégrative » paraît particulièrement souhaitable. D’une part, elle permet de déployer une conception scientifiquement réaliste des mécanismes intuitifs de bas-niveau aussi bien que des capacités réflexives sophistiquées qui permettent aux êtres humains de « faire société ». D’autre part, une telle entreprise « intégrative », loin de rompre avec la visée émancipatrice du discours sociologique, la prolonge et l’étend à de nouveaux territoires : au dévoilement des interdépendances systémiques et des structures opaques dans lesquelles les agents ordinaires sont immergés, elle rajoute le dévoilement des processus cognitifs et émotionnels que tout un chacun met en œuvre, bien souvent à son insu. La sociologie qui ne s’arrête pas a priori aux frontières disciplinaires ne constitue donc en rien un acte de capitulation devant l’expansion potentiellement hégémonique des savoirs concurrents. Les détours disciplinaires qu’elle opère visent au contraire à nourrir les objets traditionnels de la sociologie, que ce soit l’autorité de la première personne, la constitution des collectifs, le rôle des émotions, la nature des normes morales ou les ressorts de la domination.