Sessions plénières Programme général

Changer la sociologie ?

Vendredi 8 juillet, 9h-11h, université du Québec à Montréal

Présidence : Marianne KAMPENEERS

Marianne KAMPENEERS détentrice d’un PhD en démographie, est professeure titulaire au département de sociologie de l'université de Montréal. Ses champs d’intérêts portent sur les évolutions conjuguées de la famille, du travail et des politiques sociales et privilégient une approche biographique des phénomènes sociaux. Actuellement, elle mène un projet de recherche sur les transformations des solidarités familiales et des dynamiques intergénérationnelles au Québec, du début du XXe siècle à nos jours.

Sociologie et interdisciplinarité. Les conditions de pratique

Gérard DUHAIME est sociologue et politologue. Il est professeur au département de sociologie de l’université Laval où il est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée. Ses principaux chantiers actuels en sociologie économique portent sur les inégalités économiques et sociales dans l’Arctique circumpolaire et chez les Premières Nations du Canada. Il a publié, entre autres, Arctic Food Security (CCI Press, 2008), La Vie à crédit, consommation et crise (PUL, 2003), Le Nord. Habitants et Mutations (PUL, 2001). L’ouvrage collectif Pauvreté quotidienne, pauvreté planétaire paraîtra sous peu.

L’élucidation de questions complexes peut requérir la contribution de plusieurs disciplines. Quelles sont les conditions suivant lesquelles la pratique de l’interdisciplinarité peut conduire à des gains significatifs de compréhension, au-delà de la simple juxtaposition de regards différents posés sur un même objet ? Quel rôle la sociologie peut-elle jouer dans cette pratique ? Fondé sur l’expérience, l’exposé identifie les conditions principales de la fécondité interdisciplinaire, ainsi que les embûches qui en rendent la réalisation difficile. Sur ces bases, il suggère enfin deux préalables à la contribution significative de la sociologie : la détermination collégiale des questions de recherche et le renforcement de la liberté académique, à l’encontre de la transformation de l’université et des organismes publics de financement de la recherche, inspirée par le modèle marchand.

Sortir la sociologie de sa préhistoire

Nathalie HEINICH est sociologue au CNRS (Paris). Outre de nombreux articles, elle a publié une trentaine d’ouvrages, traduits en quinze langues, portant sur le statut d'artiste et d'auteur (La Gloire de Van Gogh, Du peintre à l’artiste, Le Triple jeu de l’art contemporain, Être écrivain, L’Élite artiste, De l’artification, Le Paradigme de l’art contemporain) ; les identités en crise (États de femme, L’Épreuve de la grandeur, Mères-filles, Les Ambivalences de l’émancipation féminine) ; l'histoire de la sociologie (La Sociologie de Norbert Elias, Ce que l'art fait à la sociologie, La Sociologie de l'art, Pourquoi Bourdieu, Le Bêtisier du sociologue, Dans la pensée de Norbert Elias) ; et les valeurs (La Fabrique du patrimoine, De la visibilité). Dernier ouvrage paru : La Sociologie à l’épreuve de l’art.

La sociologie se trouve aujourd’hui éclatée entre une multitude de propositions hétérogènes. Deux grandes lignes de clivages se dégagent cependant : d’une part, la tension entre une « sociologie du social », d’un haut degré de généralité mais peu ancrée dans l’empirie, et une « sociologie de l’expérience », basée sur l’enquête mais d’ambition souvent restreinte ; et, d’autre part, la tension entre une sociologie à visée normative, ancrée sur le politique, et une sociologie à visée analytico-descriptive, ancrée sur la production de savoir.
De mon point de vue, une sociologie non empirique, de même qu’une sociologie normative, appartiennent à la préhistoire de notre discipline. Je plaiderai donc pour une sociologie d’enquête mais lestée d’une ambition théorique lui permettant des modélisations transposables à différents domaines et objets de recherche ; et pour une sociologie enfin débarrassée de la tentation de se substituer au militantisme, même si l’utilisation pratique des savoirs que nous produisons est toujours souhaitable.
Considérer le savoir comme une fin en soi, refuser de l’inféoder à des objectifs autres qu’épistémiques, et en respecter la spécificité : voilà qui devrait permettre d’éviter les réductions démagogiques de la connaissance à l’opinion commune, autant que l’extension du domaine de l’égalité au monde scientifique, lequel n’a rien à voir avec la démocratie. Enfin délivrés de la régression post-moderne, nous pourrons entrer ainsi, tous ensembles, dans l’histoire de la sociologie.

Renouveler l’analyse sociologique par l’analyse des scènes

Terry Nichols CLARK est professeur de sociologie à l’université de Chicago. Il est détenteur d’un master et d’un doctorat de l’université de Columbia et a enseigné à Columbia, Harvard, Yale, Paris V-La Sorbonne, Florence et Los Angeles. Il a publié quelques quarante ouvrages. Ses livres Prophets and Patrons : The French University and the Emergence of the Social Sciences et Gabriel Tarde on Communication and Social Influence explorent les dynamiques culturelles et institutionnelles. Terry Nichols CLARK sonde les transformations culturelles dans The City as an Entertainment Machine et dans Building Post-Industrial Chicago, et, en français, dans L’Argent des villes, dans La Nouvelle culture politique et, avec Stephen Sawyer, dans Une Cartographie culturelle de Paris-Métropole. Il a travaillé pour The Brookings Institution, The Urban Institute, Department of Housing and Urban Development, et pour The US Conference of Mayors. Il a coordonné The Fiscal Austerity and Urban Innovation Project, enquêtant dans 1 200 villes aux États-Unis et dans 38 autres pays, incluant deux enquêtes nationales auprès de maires français et des études de cas sur la politique locale en France. Depuis 2004, il s’est concentré sur le projet Scenes, comparant les cultures de voisinage dans 42 000 zones postales aux États-Unis et avec des études de cas à Chicago, Paris et d’autres villes stratégiques.

Nous vivons des changements analogues à ceux qui ont eu cours au début de la révolution industrielle et de la Révolution française – des changements toutefois plus complexes et plus subtils. Le concept des « scènes » émerge des transformations apportées par Mai 1968, ainsi que par les manifestations de Tiananmen et la chute du mur de Berlin en 1989 : scolarisation, foisonnement des idées démocratiques et des migrations internationales, avènement d’Internet et de nouveaux idéaux culturels.
La scène est un concept plus ouvert et complexe que celui de classe, d’association, d’organisation. L’étude des scènes aide à faire ressortir ces nouvelles dynamiques. Cette communication présente les dimensions d’analyse des scènes, de l’expression personnelle à la transgression en passant par les caractères locaux. Elle s’appuie sur une étude de différents quartiers en France, en Espagne, aux États-Unis, au Canada, en Corée en Chine et au Japon. L’analyse croisée des variations nationales montre, par exemple, que le modèle de la participation de Tocqueville et le modèle de la bohème de Balzac/Jane Jacob sont applicables dans la plupart de l’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord, mais pas en Asie. Nous élaborons les liens entre l’évolution des scènes et la transformation des référents de valeur, des conceptions de la participation et de leurs impacts culturels.