Sessions plénières Programme général

La sociologie en perspective

Lundi 4 juillet, 10h30-12h, université de Montréal

Présidence : Daniel MERCURE

Daniel MERCURE est professeur titulaire au département de sociologie de l'université Laval, président d'honneur de l'Association internationale des sociologues de langue française, fondateur et directeur de la collection « Sociologie contemporaine » aux Presses de l’université Laval, fondateur et coresponsable du Comité de recherche « Sociologie du travail » affilié à l’AISLF. Récipiendaire de l'Ordre de la Pléiade, il a été Visiting Fellow ou professeur invité dans une dizaine d’universités en Amérique du Nord et en Europe. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, ses publications et travaux de recherche portent sur les changements sociaux contemporains et les nouvelles dynamiques du travail, spécialement les formes de flexibilité, les nouvelles pratiques managériales et l'ethos contemporain du travail.

La sociologie, l00 ans plus tard. Entre universalisme et relativisme

Marcel FOURNIER est professeur titulaire au département de sociologie de l'université de Montréal. Spécialiste de l'histoire et de théorie sociologiques, il s'intéresse également aux sociologies de la science, de l'enseignement supérieur et de la culture. Il est membre du Comité exécutif de l'Association internationale de sociologie et du Comité de recherche History of Sociology. Il participe également à l'animation scientifique de plusieurs revues : Sociologie et sociétés (PUM, université de Montréal), Recherches sociographiques (université Laval) et Socio (FMSH, Paris). Il a publié de nombreux ouvrages, dont une biographie d'Émile Durkheim (Fayard, 2007 et Polity Press, 2013) et Marcel Mauss. La Nation ou le sens du social (avec Jean Terrier, PUF, 2013).

Émile Durkheim, le fondateur de la sociologie, est mort en 1917. Qu’en est-il 100 ans plus tard de la théorie sociologique, et en particulier de la théorie sociologique de langue française ? La sociologie comme science a une prétention à l’universalisme mais, moins que tout autre discipline, elle n’échappe, en raison de son objet, au poids des déterminations socio-culturelles. D’où le beau titre d’une revue internationale de langue française : Sociologie et Sociétés. Mais ne faudrait-il pas aujourd’hui mettre un « s » à Sociologie, et parler de la société au singulier, tout se passant comme s’il y avait un affaiblissement de la théorie sociologique générale et un éclatement des paradigmes alors même que les sociétés, avec la mondialisation, tendaient à se rapprocher et à se ressembler ?

Sociologie et société : une union indissoluble ?

Jules DUCHASTEL est professeur émérite au département de sociologie de l’UQAM. Il fut le premier titulaire de la chaire de Recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie. Ses plus récentes recherches ont porté sur ces thèmes dans le contexte de la mondialisation et de la fragmentation des sociétés actuelles. Il s’est intéressé à la mutation des formes de légitimation politique et de mobilisation d’acteurs dans le cadre d’un déplacement graduel de la logique du gouvernement vers celle de la gouvernance. Son terrain d’observation s’est concentré sur les organisations et des agences internationales et sur le nouvel espace délibératif qui s’y développe. Ces préoccupations s’inscrivent dans le prolongement de ses études sur les transformations des institutions politiques nationales dans l'histoire du Canada et du Québec depuis les années quarante, à travers l'étude du discours politique. Celles-ci ont donné lieu à de nombreuses publications dont deux ouvrages ont reçu une reconnaissance exceptionnelle (L’identité fragmentée et Restons traditionnels et progressifs). Il s’est illustré également par une abondante production méthodologique en analyse du discours assistée par ordinateur qu’il a pratiquée et développée au Centre d’analyse de texte par ordinateur (Centre ATO) qu’il a fondé en 1983. Enfin, il s’est intéressé aux questions épistémologiques et méthodologiques en regard des approches herméneutiques, de la relation du qualitatif et du quantitatif et de l’interdisciplinarité. Actif au sein des diverses instances de l’Université, il a occupé plusieurs postes de direction, entre autres, au vice décanat de la famille des sciences humaines, au Groupe de recherche en analyse du discours politique (GRADiP), au Centre de recherche interuniversitaire sur les transformations et les régulations économiques et sociales (CRITERES). Il a été président de l’Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française (ACSALF) et est membre de l’académie des sciences sociales de la Société Royale du Canada.

Nous partons de la prémisse que la sociologie se construit en résonance avec la société moderne, en même temps qu’elle participe à sa production. Le triple procès moderne de séparation et d’autonomisation des sphères économique, politique et culturelle s’appuie à la fois sur une vision républicaine et libérale. D’un côté le triangle État/nation/société, de l’autre les droits et libertés. Cette construction moderne, eurocentrée et statocentrée, provoque un double régime d’exclusion. Elle exclut hors de son champ les autres regroupements sociaux (autres civilisations, sociétés premières) et elle marginalise le global et le local. Depuis les années 1980, nous observons une double transformation des institutions modernes. D’un côté, l’accélération de la mondialisation induit une sortie par le haut et par le bas du triangle État/nation/société, de l’autre, la fragmentation des rapports sociaux dissout le politique dans la dynamique des droits. S’en suivent une déconstruction de la modernité occidentale (multiplication des objets sociaux) et une décentration des rapports à l’État (multiplication des lieux de résistance face aux relations de subordination).

Dans ce contexte, on assiste à un découplage de la sociologie et de la société. Cette disjonction se manifeste dans les tournants linguistique et culturaliste qui déplacent le schéma de compréhension, de l’explication vers l’interprétation. Dans ce sillage, le tracé des frontières disciplinaires se dissout comme celui des frontières étatiques. Nous examinerons dans ce contexte un ensemble de conséquences ontologique (la question d’un possible universalisme pluraliste), épistémologique (la question du rapport entre explication et interprétation), disciplinaire (la question de l’unité du champ sociologique), théorique (la question de l’existence même de la société), méthodologique (la question du rapport entre qualitatif et quantitatif).

Après avoir indiqué que les grandes oppositions introduites par les fondateurs de la sociologie structurent encore et toujours les débats sociologiques, nous tenterons de montrer en quoi l’objet société continuera d’exister à condition d’en élargir le champ de couverture, d’en décentrer l’angle de vision propre aux sociétés nationales et d’en élargir la conception des rapports de pouvoir et de subordination. Tout en reconnaissant le poids déterminant du langage et des acteurs, nous rappellerons la persistance des déterminations économiques, politiques et culturelles. Si la sociologie, comme toute science, est historiquement et socialement déterminée, elle demeure une modalité de connaissance fondée sur la raison, l’approximation de formes objectives et une volonté de vérité.